Video Games History : Looking Glass Studios

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Bien que l’industrie du jeu vidéo soit jeune, son histoire est des plus riches. Et même si les années les ont effacé de nos mémoires, certains studios ont posé des bases qui, aujourd’hui encore, constituent les fondements de la majorité des jeux qui sortent chaque année. Et au Panthéon des studios mythiques, se trouve Looking Glass Studios.

L’origine d’un genre

Blue Sky Productions

En 1990, naissait Blue Sky Productions. Fondé par Paul Neurath et Ned Lerner, le studio s’attelle au développement de leur premier jeu : Underworld

En deux mois, les développeurs du studio parviennent à mettre au point un prototype de moteur de jeu qu’ils présentent au Consumer Electronics Show en juin 1990

Ultima Underworld (1992) © GOG.com

Impressionné, le studio Origin Systems (qui n’appartenait pas encore à Electronic Arts) leur proposa un contrat d’édition pour le jeu ainsi que les droits d’exploitation de la licence Ultima.

De cette collaboration naîtra, Ultima Underworld en 1992. Bien que les ventes ne l’aient pas reflété, le jeu reçut des critiques dithyrambiques. Étant désigné comme un “must-have” par la presse spécialisée.

Lerner + Blue Sky = ?

System Shock: Enhanced Edition (1994) © GOG.com

La même année, le studio fusionne avec Lerner Research. Un choix logique compte tenu du fait qu’ils partageaient déjà matériel et employés. Il est alors renommé en Looking Glass Technologies. En 1993, le studio développe Ultima Underworld II.

Bien que moins novateur que son prédécesseur, le jeu reçoit des critiques équivalentes. La presse saluant le perfectionnement de la formule du Dungeon Crawler proposé par le titre. 

L’année suivante, le monde découvre System Shock. Un jeu à la première personne dans un univers de science-fiction. La critique est à nouveau unanime. C’est un succès triomphal.

Mais le succès commercial n’est toujours pas au rendez-vous. Le jeu étant éclipsé par DooM, plus simple dans ses mécaniques et ayant déjà atteint le rang de blockbuster.

L’arrivée d’Eidos Interactive

À la fin de l’année 1996, Looking Glass, qui après System Shock éditait ses propres jeux, signe un accord d’édition-distribution avec Eidos Interactive pour l’Europe et l’Amérique du Nord.

Peu de temps après, en 1997, trois employés de Looking Glass, Jonathan Chey, Robert Fermier et un certain Ken Levine quittent le studio pour fonder Irrational Games. Toujours en 1997, le studio fusionne avec Intermetrics. Le résultat le plus significatif de l’accord avec Eidos fut la création de la série Thief

Le premier jeu : Dark Project : La Guilde des voleurs (Thief : The Dark Project en anglais), sorti en 1998, permet à Looking Glass de définitivement entrer dans la légende. En effet, ce jeu, bien qu’inconnu par la majorité des joueurs, marque la naissance d’un genre entier : l’immersive sim.

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Qu’est-ce que l’immersive sim ?

Ce nouveau genre consiste à immerger le joueur dans un monde. Cela passe par de nombreux procédés que Thief a gravés dans le marbre. Par exemple, le jeu étant principalement basé sur l’infiltration, les IA du jeu voient à 180 degrés (mais moins bien dans leur vision périphérique). La gestion de la lumière est également en avance sur son temps.

Les différents niveaux d’expositions influent sur la perception par les ennemis. Une petite diode au bas de l’écran vous indique à quel point vous êtes exposé. Elle varie entre totalement visible et invisible. Mais entre ces deux états, elle possède pas moins de 16 nuances de couleurs. Une diversité jamais égalée même 25 ans après la sortie du jeu. De plus, certaines sources de lumière peuvent être neutralisées. Ce qui favorise la discrétion tout en rendant l’exploration plus difficile.

Thief est également un jeu novateur grâce à son système de son. Les IA font du bruit. Un bruit qui vous permet de les localiser seulement à l’oreille, grâce à un système de spatialisation du son efficace même sans casque. Cependant, Garret (le protagoniste du jeu) fait également du bruit.

Celui-ci dépend principalement de la surface arpentée (le métal étant plus bruyant que le bois) et de la démarche de Garrett (le jeu offrant 8 vitesses de déplacement différentes). Vous devez donc équilibrer ces deux facteurs en plus de votre exposition lumineuse, car les IA peuvent aussi vous localiser au son.

L’immersion qu’offre Thief passe également par sa narration. Les quelques cinématiques du jeu étant dans un style dessiné magnifique et consistant, la plupart du temps en un briefing de la mission narré par Garret lui-même. Nous permettant de connaître sa personnalité simplement par sa manière de parler et d’agir. Le jeu mise également beaucoup sur la narration environnementale.

C’est pourquoi vous découvrirez dans les différents niveaux des histoires (souvent sous forme de lettres) témoignant de la vie dans lesdits niveaux et saupoudrées d’une bonne dose d’humour. Le jeu étant axé sur le vol, le level design et le butin s’harmonisent parfaitement pour renforcer l’immersion.

Par exemple, lorsque Garret cambriole un château, il ne trouvera rien de valeur dans les quartiers des employés de maison. La majeure partie des richesses se trouvant dans les appartements du propriétaire du château.

Le dernier procédé majeur mis en place par Thief consiste en l’appropriation de l’espace par le joueur. C’est dans cette optique que le jeu ne vous met pas de carte à disposition. En tout cas pas de carte complète. Celles dont vous disposez sont des plus vagues.

Elles semblent avoir été dessinées par Garret lui-même et ne donnent qu’un bref aperçu du niveau que vous explorez. Il vous faut donc bien retenir les lieux visités et ce qu’ils contiennent, voire même faire votre propre carte pour les plus déterminés. 

Car le jeu n’intègre aucun marqueur d’objectif ni aucune interface, exception faite de la barre de vie de Garret, de l’objet sélectionné et de la diode lumineuse mentionnée plus tôt. Le jeu comporte en revanche un objectif minimum de butin à récupérer dans chaque niveau (variable en fonction de la difficulté choisie).

Ce qui pousse le joueur à explorer et donc à s’approprier l’espace de jeu. Ces éléments paraissent peut-être triviaux aux joueurs d’aujourd’hui, mais avant Thief, rien de tout ceci n’existait. En tout cas, pas de manière aussi aboutie.

Les cartes de Thief (1998) © oldgames.sk

Le début de la fin

Cette première entrée dans le genre de l’immersive sim fut si bien accueillie par la critique qu’elle figure dans tous les classements majeurs des meilleurs jeux de tous les temps. La presse spécialisée déclarant, à juste titre, que les jeux d’infiltration modernes font pâle figure face à Thief.

En effet, bien que les bases des mécaniques du jeu soient utilisées aujourd’hui encore dans la majorité des jeux vidéo actuels, leur niveau de finition n’a jamais égalé celui de Thief. Il devient d’ailleurs le plus gros succès commercial de l’histoire du studio avec plus de 500 000 exemplaires vendus.

Thief 2: The Metal Age (2000) © GOG.com

Cependant, en 1999, un événement va venir ébranler le studio jusque dans ses fondations. Intermetrics décide de se retirer du capital de Looking Glass, interrompant ainsi leur principale source de financement. 

Ils réussiront tout de même à livrer une suite à System Shock la même année, mais cette fois éditée par Electronic Arts et co-développée avec Irrational Games. Le studio signe un nouveau chef-d’œuvre qui est propulsé au rang de jeu culte par la presse et les joueurs. À tel point qu’un remake du premier jeu et une suite sont en développement

Malgré des productions instantanément cultes, le studio va être victime du manque de succès commercial de ses jeux. Eidos Interactive est alors vu comme le potentiel sauveur, ayant la possibilité de racheter Looking Glass

Seulement, au même moment, Eidos annonce traverser une crise financière, accusant environ 81 millions de dollars de pertes entre 1998 et 1999. Looking Glass ferme donc ses portes en 2000. Non sans avoir eu le temps de livrer une suite à Thief, considérée comme aussi bonne, voire meilleure que son illustre ancêtre.

Et maintenant ?

Après la fermeture du studio, la majorité des employés sont recrutés par leur ancien collègue Warren Spector. Désormais chez Ion Storm, studio fondé par Tom Hall, Jerry O’Flaherty, Todd Porter et John Romero (l’un des pères de DooM).

En 1996, lors de sa création, le studio a signé un accord avec Eidos Interactive (déjà-vu ?) pour le développement de six jeux.

Thief: Deadly Shadows (2004) © GOG.com

Parmi ces derniers, trois sont d’une importance capitale. En 2004, le studio dévoile Thief : Deadly Shadows. Troisième opus de la saga, qui tente d’innover en intégrant par exemple une partie open-world dans le but de rafraîchir la licence.

Cependant, le plus gros changement de la licence réside dans la version Xbox de Deadly Shadows, qui empêche le jeu d’être digne de sa lignée légendaire. Le jeu est loin d’être mauvais pour autant. En témoigne l’accueil critique toujours bienveillant à son égard.

Studio différent, même talent

Mais les productions les plus notables d’Ion Storm furent développées plus tôt. En effet, en 2000, le studio révèle au monde le premier opus de la saga Deus Ex. Une nouvelle entrée fracassante dans le Panthéon du jeu vidéo pour les héritiers de Looking Glass.

Cette nouvelle saga culte nous plonge dans un monde futuriste déstabilisé par les augmentations. Des prothèses robotiques implantées aux humains qui vont plonger la société dans le chaos. Une dystopie des plus saisissante et crédible. Et bien sûr, l’ADN de Looking Glass est toujours là

Deus Ex (2000) © GOG.com

L’appropriation de l’espace est toujours au cœur du gameplay. Le jeu propose en effet différentes approches pour chaque situation. Il est possible de négocier avec ses ennemis, de laisser parler votre arsenal, ou encore d’utiliser le level design et les mécaniques de piratage afin de vous frayer un chemin entre vos adversaires sans qu’ils ne soupçonnent votre présence.

Le jeu a modernisé la formule instaurée par System Shock tout en apportant un gameplay émergent et varié qui a marqué durablement les joueurs et l’industrie.

Nouveau coup dur

Deus Ex: Invisible War (2003) © GOG.com

Mais en 2001, John Romero et Tom Hall quittent le studio, entraînant la fermeture des bureaux de Dallas. Il ne reste alors plus que la branche d’Austin, créée et dirigée par Warren Spector, pour finaliser Deus Ex : Invisible War.

Sorti en 2003 en Amérique du Nord et en 2004 en Europe, le jeu rencontre un succès mitigé. En effet, le gameplay, l’aspect RPG et la gestion de l’inventaire ont été grandement simplifiés

Certains voyaient cela comme une bonne chose, rendant la franchise accessible à un public plus large. Tandis que d’autres voyaient en ces changements une trahison de l’ADN même de la franchise, victime de l’influence du marketing et du grand public. Warren Spector va ensuite diriger le développement de Thief : Deadly Shadows, mentionné plus haut.

Suite à cela, il quitte lui aussi Ion Storm pour raisons personnelles. Entraînant alors la fermeture pure et simple du studio annoncée par Eidos Interactive le 9 février 2005. Suite à ce nouveau revers, les employés d’Ion Storm sont accueillis dans différents studios, notamment Irrational Games et Arkane Studios.

Le monde d’après

Le retour du roi

Après de nombreuses rumeurs sur une suite à Deus Ex, Eidos Interactive, sorti de sa crise financière par SCI Entertainment, annonce le développement de Deus Ex : Human Revolution par Eidos Montréal.

Le jeu sort finalement en 2011, édité par Square Enix, et permet à la saga de renouer avec le succès

Deus Ex: Human Revolution (2011) © amazon.fr

La critique salue son histoire, ses quêtes secondaires, la qualité de l’écriture et le retour aux sources du gameplay, revenant aux bases posées par le premier épisode. La franchise était bel et bien revenue sur le devant de la scène

En 2013, Square Enix annonce vouloir étendre la franchise sur d’autres supports, notamment papier et mobile. C’est dans cet objectif que sort un an plus tard, Deus Ex : The Fall. Cependant, le jeu est très moyennement accueilli par les fans et la critique.

Le jeu étant d’abord sorti sur mobile avant d’être porté sur PC, il est bien moins abouti que son prédécesseur. De plus, l’échec cuisant du retour de Thief la même année, à cause de décisions éditoriales et marketing, marqua le début de la fin de l’histoire de Square Enix et des licences occidentales.

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Lors de leur annonce, Square Enix a également mentionné le développement d’un nouveau jeu à destination des consoles et de Windows. Le 23 février 2016 sort donc Deus Ex : Mankind Divided, le dernier opus de la franchise à ce jour.

La presse est à nouveau conquise, mentionnant le gameplay encore plus abouti ainsi que la possibilité de finir le jeu sans tuer personne. Chose impossible dans Human Revolution.

Deus Ex: Mankind Divided (2016) © GOG.com

Les joueurs, en revanche, accueillent le jeu plus froidement. Lui reprochant de transposer le mouvement Black Lives Matter aux Humains augmentés du jeu notamment en utilisant le slogan “Aug Lives Matter”.

Une démarche très maladroite bien que l’équipe ait affirmé avoir envisagé ce slogan avant l’émergence du mouvement en 2013. Ces polémiques ont cependant détourné l’attention des vrais défauts du jeu. Comme, par exemple, sa fin abrupte et qui nous laisse sur notre faim.

Suite à ce succès relatif, Square Enix replongea la franchise dans son sommeil. Eidos Montréal étant cantonné à des projets bien plus grand public tels que les reboots de Tomb Raider, Marvel’s Avengers et Marvel’s Guardians of the Galaxy. Tous ayant reçu des critiques plus ou moins froides hormis le dernier.

Une note d’espoir ?

Cependant, l’espoir subsiste. En effet, le 2 mai 2022, Square Enix annonce avoir vendu la plupart de ses licences occidentales, incluant Legacy of Kain, Tomb Raider et surtout Deus Ex et Thief à Embracer Group. Un géant Suédois qui a également acquis les studios en charge de ces franchises, à savoir Crystal Dynamics, Square Enix Montréal et Eidos Montréal. Le tout pour un montant de 300 millions de dollars.

Un montant qui, dans le monde du jeu vidéo peut sembler dérisoire compte tenu de l’importance de ces licences. À titre comparatif, Take-Two a racheté le studio de jeux mobiles Zynga pour 12 milliards de dollars. D’aucuns y verront un aveu d’échec de Square Enix à gérer le marché occidental.

Peu de temps après, Jason Schreier, journaliste de Bloomberg toujours très bien informé, a affirmé qu’Eidos Montréal travaillerait sur plusieurs nouveaux projets. Y compris un nouveau jeu Deus Ex qui en serait à un stade précoce de développement. La franchise pourrait donc bien faire son grand retour sept ans après son dernier coup d’éclat.

Square Enix revend ses licences à Embracer © netcost-security.fr

L’héritage de Looking Glass

Mais alors que reste-t-il aujourd’hui du travail des pionniers de Looking Glass ? Le studio a malheureusement fini par tomber dans l’oubli. S’effaçant peu à peu de la mémoire des joueurs au fil des ans. Mais la philosophie du studio perdure. Nous l’avons vu avec Deus Ex. Mais l’impact de Looking Glass va bien au-delà de cette franchise.

Les joueurs de la première heure

En effet, les fans de Looking Glass font perdurer aujourd’hui encore la mémoire de ce studio si cher à leur cœur. Et ce grâce à Looking Glass eux-mêmes.

En effet, le studio a inclus innocemment un éditeur de niveau dans la version gold de Thief et sa suite. Permettant ainsi à ses joueurs de créer leurs propres missions pour la plupart jugées aussi bien, voire meilleures que celles du jeu original.

Leur nombre supposé est aujourd’hui compris entre 1500 et 2000, durant entre une heure et un après-midi. Un contenu virtuellement sans limite.

Les fan-missions de Thief © thiefguild.com

Les héritiers du studio

Mais l’impact de Looking Glass ne se limite pas au monde des fans missions. Comme dit précédemment, les anciens employés de Looking Glass et d’Ion Storm ont été embauchés par d’autres studios.

Notamment chez Irrational Games, qui développera, en 2007, Bioshock. Un jeu ouvertement inspiré de System Shock qui a marqué l’esprit de nombreux joueurs ainsi que de toute la critique et dont le quatrième opus est en cours de développement.

Bioshock (2007) © GOG.com

La philosophie de Thief a également perduré grâce aux employés d’Arkane Studios en provenance de Looking Glass Studios.

Le studio présentera, en 2012, Dishonored. Une franchise devenue culte et dont pratiquement chaque aspect rend hommage, adapte, ou modernise les standards instaurés par Thief.

La production la plus récente du studio, Deathloop, est également empreinte de la marque de ce dernier.

Au travers de leurs productions, Looking Glass Studios a marqué à jamais de son empreinte le monde du jeu vidéo. Et bien qu’il ait aujourd’hui disparu, l’importance et les méthodes avant-gardistes du studio lui permettent de continuer à vivre dans l’ombre de la majorité des jeux auxquels nous jouons. Et pour tout ce qu’ils ont apporté à l’industrie, Looking Glass Studios mérite qu’on se souvienne d’eux comme des pionniers de ce média qui nous passionne tant.

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